Le prix Turing a été créé en 1966 par l’Association for Computing Machinery (ACM). Il récompense les plus éminents informaticiens de la planète ayant proposé des travaux révolutionnaires dans le monde de l’informatique. Études Tech revient sur l’histoire de ce prix et sur le parcours de celui qui l’a inspiré : le célèbre Alan Turing.
Alan Turing : Le fondateur de l’ordinateur
La machine de Turing : Les prémices de l’ordinateur
Alan Turing est un mathématicien et cryptologue britannique né en 1912. C’est un génie dans son domaine. À 19 ans, il intègre le King’s College de Cambridge et, peu de temps après, il crée la machine de Turing. Cet outil observe un ruban avec plusieurs cases contenant un symbole différent, mais certaines sont vides. La machine démarre à l’état 0, si elle tombe sur une case non vide, elle passe à la case située à droite, mais reste toujours dans l’état 0. Elle répète ainsi l’opération jusqu’à arriver à une case vide. Dans ce cas, elle repart d’une case à gauche, mais dans l’état 1. Celui-ci analyse la case, si elle est vide, la machine remplace par 1 et s’arrête ici. Si le chiffre est 9, elle met 0 et passe sur la case de gauche, mais toujours dans l’état 1.
Dans la mesure où le chiffre contenu dans la case est inférieur à 9, la machine rajoute 1 et passe à la case de gauche, mais cette fois-ci dans l’état 2. Celui-ci implique que la machine analyse une case, si elle contient un symbole, elle passe à gauche toujours dans l’état 2, si elle est vide, la machine ne met rien et c’est fini. De nos jours, ce concept minimaliste est une véritable révolution pour l’époque et pose les bases de nos ordinateurs actuels. Les instructions sont les ancêtres du programme et le ruban, l’ancêtre de la mémoire. Alan Turing va réellement inventer l’ordinateur durant la Seconde Guerre mondiale.
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La conception de l’ordinateur pendant la Seconde Guerre mondiale
Alors que le gouvernement britannique s’inquiète du lancement de la guerre, elle décide de former une équipe secrète chargée de cryptographie à Bletchley Park. Cette équipe de 18 cryptologues aura une mission déterminante dans l’avenir de cette Guerre : déchiffrer la machine allemande Enigma réputée pour être inviolable.
Créée en 1918, Enigma est une machine de chiffrement très complexe. Avant celle-ci, le chiffrement par substitution consistait à remplacer une lettre par une autre, mais c’était toujours la même correspondance. Par exemple, si un A devenait un K, c’était tout le temps le cas. Cette méthode permettait de décoder les messages cryptés assez facilement, avant l’apparition d’Enigma.
Enigma se compose de trois rotors et d’un câblage manuel qui intervertit deux lettres. Ainsi, si tu rentres un A, tu peux obtenir 25 résultats différents. Cela te semble complexe ? Ce n’est que le début. Enigma se compose de trois rotors, mais l’armée allemande disposait d’un jeu de cinq rotors à configurer tous les jours à minuit. Ainsi, les cryptologues ont une chance sur soixante de trouver la bonne combinaison de rotors. Et ce n’est pas fini.
Avec les 26 caractères différents contenus dans les trois rotors, il y a 1 054 560 possibilités différentes avant de trouver la bonne combinaison chaque jour. Mais ce n’est pas encore assez complexe pour Enigma. Avec le jeu de câblage manuel composé de dix câbles qui va intervertir deux lettres, il y a 158 milliards de milliards de combinaisons différentes chaque jour. La machine Enigma est démentielle et l’armée allemande était convaincue que personne ne pourrait la décoder, tout comme la majorité des nations du monde. Si tu avais la chance de trouver la bonne combinaison, plot twist : la combinaison changeait tous les jours.
Une équipe polonaise avait étudié la machine pour mettre au point un système permettant d’analyser 1 000 combinaisons à la seconde. Dans la pratique, il aurait fallu 5 milliards d’années pour essayer toutes les possibilités. Inutile de te faire un schéma, c’est bien trop lent !
Face à ce problème, Alan Turing va inventer l’ordinateur. Pour décrypter le code, il s’appuie sur deux choses : une faille de la machine Enigma et la trop grande rigueur de l’armée allemande.
En effet, la machine Enigma semble parfaite, mais elle présente un défaut : une lettre ne pouvait jamais donner elle-même. En clair, un A ne pouvait jamais devenir un A. Ce petit détail a renversé le cours de l’Histoire. L’armée allemande avait pour habitude d’envoyer souvent le même type de messages. Tous les matins, à 6 heures, les Allemands envoyaient un bulletin météo qui avait systématiquement la même forme. Il commençait par « Wetterbericht » qui signifie « bulletin météo » en Allemand et se finissait par « Hail Hilter ».
Chaque jour, les Alliés interceptaient le message météo et entraient Wetterbericht dans la « bombe » de Turing. Dès qu’ils arrivaient à une correspondance, c’est-à-dire lorsqu’ils trouvaient une combinaison dans laquelle aucune lettre ne se cryptait par elle-même, la machine mettait au point un menu, une série d’hypothèses. Dès qu’elle arrivait à une contradiction, elle recommençait. Une contradiction, c’est lorsqu’une lettre donnait deux lettres différentes en langage codé. Grâce à sa machine, l’étape interminable qui consistait à essayer toutes les combinaisons était effectuée automatiquement jusqu’à trouver la bonne combinaison du jour. Ainsi, étudier toutes les combinaisons possibles de Enigma ne prenait plus 5 milliards d’années, mais seulement 20 minutes, ce qui la rendait complètement obsolète.
Les historiens s’accordent à dire que la création de cette machine, et donc de l’ordinateur, a permis de raccourcir la guerre de deux ans et de sauver 14 millions de vies. Cette avancée ne va pas pourtant épargner Alan Turing du destin funeste qui l’attend.
La déchéance d’Alan Turing
Alan Turing était homosexuel et malgré son incroyable génie, cela était encore mal vu au 20ème siècle. Il se fait donc arrêter pour indécence et perversion sexuelle et sera condamné malgré le soutien de tous ses camarades de la Guerre. Ces derniers vont insister sur le fait que la Grande-Bretagne et le monde entier doivent leur salut à Alan Turing. Problème : l’unité qui a déchiffré Enigma était une équipe secrète. De fait, aucun moyen ne permettait de prouver les travaux de Turing. Le gouvernement britannique lui laisse deux possibilités : la prison ou la castration chimique.
Le malheureux génie de l’informatique choisit la seconde option pour ainsi poursuivre ses travaux. Toutefois, cette opération va avoir des effets irréversibles sur lui et le plonge dans une profonde dépression. Il se suicide à l’âge de 41 ans, en 1954, avec du cyanure qu’il a mis sur une pomme. La rumeur veut que cette pomme entamée ait inspiré le logo d’Apple. Une autre rumeur prétend également que la mort de Turing serait accidentelle. Il aurait malencontreusement versé du cyanure sur sa pomme, ce qui l’aurait conduit à sa mort.
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Le prix Turing : un hommage à Alan Turing
La prise de connaissance d’Alan Turing par le grand public
Dans les années 60, les travaux de décryptage de la machine Enigma sont déclassifiés. Le monde entier découvre Alan Turing et ce qu’il a fait pour aider à remporter la guerre. Les Britanniques découvrent également qu’il a été condamné à cause de son homosexualité. Cela va provoquer un énorme scandale au Royaume-Uni, si bien qu’en 2009, le premier ministre de l’époque, Gordon Brown, présente publiquement des excuses envers Alan Turing. Cependant, le ministre de la Justice refuse de lui retirer sa condamnation à titre posthume. Le scandale devient alors mondial et un groupe de onze scientifiques, mené par Stephen Hawkins, demande à ce qu’on arrête de souiller l’image d’Alan Turing. La Reine d’Angleterre, Elizabeth II, signe un décret royal de clémence, en 2013, pour retirer sa condamnation. C’est, seulement, le quatrième décret royal qu’elle signe, cela en dit long sur l’ampleur de ce scandale. Le gouvernement britannique ne va pas s’arrêter là puisque dans la foulée, la loi Turing est promulguée. Elle annule rétroactivement toutes les condamnations envers les personnes homosexuelles jugées à cause de leur orientation sexuelle.
L’hommage de la communauté scientifique : la création du prix Turing
La communauté scientifique n’a pas attendu le gouvernement britannique pour rendre hommage à Alan Turing. En 1966, l’Association for Computing Machinery crée le prix Turing. Il est décerné aux personnes ayant apporté une contribution majeure et durable dans le domaine de la recherche informatique : Il est considéré comme le prix Nobel de l’informatique.
Cette distinction correspond parfaitement aux travaux entrepris par Alan Turing. En 1950, il émet l’hypothèse selon laquelle dans 50 ans, il sera impossible de distinguer une phrase émise par un humain d’une phrase énoncée par un ordinateur. Quand on voit les dernières évolutions liées aux intelligences artificielles, ce dernier a tout simplement été visionnaire. Pour déterminer si une machine est consciente, il met en place le « Test de Turing ». Pour cela, il oppose un être humain à une machine. L’évaluateur du test va poser une série de questions par écrit aux deux concurrents. L’objectif ? Repérer la machine. Si elle passe entre les mailles du filet et qu’elle parvient à berner l’évaluateur, elle a réussi le test de Turing. Pour l’anecdote, la victoire de l’IA IBM Watson lors du jeu télévisé Jeopardy est considérée comme un succès au test de Turing.
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Les modalités de délivrance du prix Turing
Ce prix est remis pour tous ceux qui ont apporté des travaux d’une importance majeure et durable dans le domaine de l’informatique. Il est financé par Google et Intel avec, à la clé, un cash prize à hauteur d’un million de dollars. Le vainqueur reçoit son prix lors de la conférence annuelle de l’Association for Computing Machinery, même si celui-ci est connu quelques mois auparavant. Dans la foulée, le lauréat donne une conférence nommée Turing Award Lecture, durant laquelle il présente ses travaux.
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Les lauréats les plus prestigieux du prix Turing
Depuis 1966, le prix Turing est remis tous les ans. Le premier lauréat a, bien évidemment, été Alan Turing pour ses travaux sur l’informatique et l’intelligence artificielle, mais il existe d’autres vainqueurs ayant eu un impact considérable sur le monde de l’informatique. En 2022, c’est Bob Metcalfe qui a reçu ce prix pour la création de l’Ethernet.
Vinton Cerf et Robert Kahn : Les fondateurs d’Internet
Vinton Cerf et Robert Kahn sont deux scientifiques américains qui vont apporter une invention très importante au domaine de l’informatique, puisqu’ils vont créer Internet. Après la création de l’ordinateur, le premier échange de données entre deux ordinateurs a lieu, en 1969. Cerf et Kahn commencent, en 1973, à travailler sur un réseau de communication entre deux ordinateurs situés à deux endroits différents.
Un an plus tard, ils publient leurs recherches sur un protocole d’échange reposant sur le transfert de paquets d’informations entre deux ordinateurs. Ce système est nommé protocole TCP/IP. Il est mis en service en 1983 et marque les débuts d’Internet. Ce protocole est d’ailleurs toujours utilisé pour les échanges internet les plus standards. En 2004, Vinton Cerf et Robert Kahn sont récompensés pour l’ensemble de leurs travaux en recevant le prix Turing.
Tim Berners-Lee : Le prix Turing pour la création du Web
Tim Berners-Lee est un informaticien britannique. Il va venir apporter une pièce importante au monde de l’informatique. Après la création de l’ordinateur et d’Internet, il fallait un moyen d’accès à l’information. Tim Berners-Lee se penche sur la question et crée le web. Pour cela, il publie en 1989, un mémoire nommé « Gestion de l’Information : une proposition » qui contient les bases du web. L’objectif est de faciliter l’accès à l’information pour les chercheurs en se basant sur des liens hypertextes. Il crée donc l’URL, le langage HTML pour les afficher et le protocole HTTP pour les lier entre elles. Il est récompensé du prix Turing en 2016.
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Yoshua Bengio, Geoffrey Hinton et Yann LeCun : Les pionniers de l’IA
Yoshua Bengio, Geoffrey Hinton et Yann LeCun sont trois chercheurs venant respectivement du Canada, du Royaume-Uni et de France. Ce sont des pionniers dans le monde de l’intelligence artificielle. Ils vont créer le deep learning. Ce système cherche à reproduire le cerveau humain en s’appuyant sur des couches neuronales. C’est la base du fonctionnement de l’intelligence artificielle et il est présent dans toutes nos IA que ce soit Siri, Alexa ou encore ChatGPT.
Le deep learning se différencie du machine learning. Ce dernier s’adapte à l’humain, c’est-à-dire que son algorithme va être modifié selon les retours qu’il va recevoir. Le deep learning peut fonctionner à partir de données non-structurées. C’est un programme plus sophistiqué, mais qui demande une base de données plus importantes.
Tu l’auras compris, le prix Turing récompense les plus éminents scientifiques de la planète. Si tu souhaites en découvrir davantage sur l’histoire de Alan Turing et comment il a décrypté Enigma, nous pouvons que te conseiller l’excellent film « The Imitation Game » avec Benedict Cumberbatch en tête d’affiche.
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